Toyo Ito

Pour nous, au japon, le mot « espace » signifie littéralement un espace laissé vide entre des immeubles ou entre des points de repères. Mais en Occident, le terme de « proche » a le sens d’espace fermé par des murs. Il semble qu’il y ait une grande différence dans l’interprétation de ce terme entre la société occidentale et le Japon: au Japon, un espace a une existence ambiguë, comme l’air ou la lumière entre deux éléments; une telle perception de l’espace influence inévitablement l’espace urbain dans son ensemble. (Toyo Ito, in: « entretien », Sophie Roulet et Sophie Soulié, « Toyo Ito l’architecture de l’éphémère », Ed. du Moniteur, Paris, 1991, p. 89.)

Contre le White Cube

Frank Gehry a souvent affirmé combien les White Cubes ne lui semblaient pas appropriés pour l’exposition d’œuvres d’art.
Il le rappelle dans ces deux interviews.

Quelle fut votre approche dans la réalisation des salles d’exposition ?

J’ai toujours refusé l’idée de la « boîte blanche ». Certains pensent que cela est suffisant pour exposer de l’art. Je pense tout au contraire que l’art est exigeant, qu’il se révèle dans le dialogue possible avec l’espace qui l’entoure.
(Entretien exclusif avec Frank Gehry: « la Fondation Louis Vuitton: un rêve qui met l’art en perspective », in Valeurs Actuelles, Jeudi 16 Octobre 2014)

 

D’A : Est-ce une fondation qui peut accueillir tout type d’art ou a-t-elle été conçue pour une collection particulière ?

FG : Suzanne Pagé a demandé des espaces d’exposition « classiques », donc c’est ce que nous avons fait. Mais ce ne sont pas des galeries si classiques que ça. Je pense qu’elles sont sereines et plus nobles. Tous les musées, toutes les galeries sont des cubes blancs et ils sont tous pareils. Un grand nombre de mes amis artistes détestent ces espaces. Mais la plupart des conservateurs et des directeurs de musée ne jurent que par ça. Le monde est fatigué et il y en a marre de ces conneries. Le musée d’Art moderne de New York (MOMA) est un désastre et ils doivent le reconstruire aujourd’hui. Vous savez, quand vous êtes dans ces espaces rigides, en enfilade, que l’on parcourt dans un sens, c’est mortel. Ici ils ont demandé ce type d’espace car ils ont des collections qui le nécessitent. Mais ils ont aussi des espaces avec lesquels ils peuvent composer et faire des choses. Je crois qu’il y en a une variété suffisante pour que les artistes puissent les investir. On le verra au fil du temps. Boltanski par exemple a choisi un recoin inattendu pour installer une de ses œuvres. Si l’on m’avait demandé de choisir un espace pour Boltanski, j’aurais choisi la grotte. Mais il ne l’a pas choisi. C’est difficile d’anticiper et de pontifier sur ce qu’est un espace d’exposition. J’ai personnellement dû faire des expositions dans de nombreux musées construits ces quinze dernières années, c’est difficile car les espaces peuvent être écrasants.

D’A : Au musée Guggenheim de Bilbao, vous aviez proposé d’un côté des galeries classiques pour la collection permanente et de l’autre des espaces plus singuliers pour que des artistes vivants puissent les investir. Vous ne semblez pas avoir eu cette liberté ici…

FG : Les clients sont différents. On m’a demandé ici ce type d’espace. Il y a toutefois de la variété, les espaces ne sont pas tous les mêmes. Les galeries sont épisodiques, elles ont différentes tailles et différentes formes. Elles sont rectangulaires et blanches, mais les puits de lumière ne sont pas au centre. Il y a plus de liberté. J’espère que ce n’est pas trop rigide. Mes amis artistes trouveront des lieux pour faire des choses. Ils me disent qu’ils n’aiment pas les cubes blancs. La notion qui prévaut, c’est que les « white box » ne sont pas intrusives pour l’art, mais ce n’est pas vrai : elles sont tellement parfaites qu’elles deviennent une imposition.
(Entretien avec Frank Gehry, réalisé par David  Leclerc et Emmanuel Caille, à Paris, le 1er juillet 2014, à l’occasion de la fin des travaux de la Fondation Louis-Vuitton.  Article paru dans d’A n° 230, octobre 2014)

Sa sonorité

Chaque espace a son rendu sonore propre. Dans un espace libre, dégagé de ses meubles, il suffit de taper dans ses mains pour se rendre compte de sa qualité sonore qui est fonction de son volume, de sa configuration géométrique et de l’état des surfaces de ses parois, y compris sol et plafond.
Les yeux fermés, vous sentez que vous êtes dans un espace ample et vaste ou bien dans une configuration étroite. Quand les surfaces sont en carrelage et un sol en pierre, les claquements produisent beaucoup de réverbération, le son « restant longtemps » dans l’air; au contraire, entouré de tentures avec un tapis au sol: les sons émis paraîtront brefs et secs.
Une même configuration d’espace aux parois absorbantes donnera une image acoustique différente que s’il était conçu avec des surfaces réfléchissantes, absorbantes ou semi-absorbantes..
Certaines configurations d’espaces sont plus remarquables acoustiquement que d’autres, et d’ailleurs servent de chambres de test en laboratoire
Les chambres anéchoïques: sont des pièces entièrement tapissées sol et plafond compris, de matériau très absorbants. Lorsqu’on s’y trouve, on perd tout repère, aucun retour de sons émis et seuls les battements de son coeur dans les oreilles qui apparaissent.
Les chambres réverbérantes, à l’opposé, constituées de parois entièrement en béton lisse, produisent de longues réverbérations aux sons émis.
Parfaites illustrations de la sonorité propre d’un espace.
Dans d’autres cas, la géométrie elle-même produit des effets étonnants: ainsi lorsqu’on traverse un espace circulaire, tel un tambour, et en s’approchant du centre, le son des pas s’amplifie d’un coup pour s’estomper rapidement, la forme des parois de périphérie focalisent le son en son centre. (c’est ce qu’on peut expérimenter dans une ces salles du Mukha à Anvers, dans le passage Horta de la gare centrale à Bruxelles, etc…)

Pierre von Meiss

Aristote définit l’espace comme un contenant des choses, une sorte de succession d’enveloppes englobantes, depuis ce qui est « à l’intérieur des limites du ciel » jusqu’au plus petit, un peu à l’image des poupées russes. L’espace est donc nécessairement un creux limité à l’extérieur et rempli à l’intérieur. Il n’y a pas d’espace vide; tout a sa place, son lieu et son endroit.

En effet, pour l’architecte l’espace ou l’intervalle entre sol, murs et plafond n’est pas le néant, bien au contraire: la raison même de son activité est de créer ce creux, pour contenir. Il lui donnera une forme concrète pour offrir un lieu de séjour et une relative liberté de mouvement dont l’homme a besoin.

La peinture, la sculpture et la musique ont aussi leur spatialité, mais elle se définit de l’extérieur, n’offrant qu’une possibilité de pénétration mentale. L’architecture est l’art du creux; elle se définit à la fois de l’intérieur et de l’extérieur; les murs ont deux côtés. Nous la pénétrons avec notre corps et pas seulement par esprit. Toute critique ou histoire architecturale doit tenir compte de ce double aspect de la forme du creux et du plein des édifices. Une oeuvre architecturale qui n’est conçue ou considérée que de l’extérieur cesse d’être architecture et devient scénographie. Inversement, la réduction à ses seuls caractères spatiaux esquive les signes et symboles concrets sous-entendus par sa matérialité.

Les anciens traités d’architecture parlent rarement de l’espace de manière directe. Leurs théories portent plus sur les éléments physiques de l’édifice et sur les motivations de leur forme, que sur les creux qu’ils délimitent. Le discours sur l’espace ne se développe qu’au début du XIXè siècle avec le philosophe allemand F.W.J. Schelling dans « Philosophie der Kunst ». Il prend de l’ampleur vers la fin du XIXè siècle avec des historiens tels que Riegl, Wölfflin, Schmarsow. August Schmarsow introduit son ouvrage « Barock und Rokoko » en insistant sur la priorité de l’espace en architecture: « …L’homme conçoit en premier lieu l’espace qui l’entoure et non pas les objets physiques qui sont supports de significations symboliques. Toutes les dispositions statiques ou mécaniques, ainsi que la matérialisation de l’enveloppe spatiale ne sont que les moyens pour la réalisation d’une idée vaguement pressentie ou clairement imaginée dans la création architecturale… L’architecture est « art » lorsque le projet de l’espace prime nettement sur le projet de l’objet. La volonté spatiale est l’âme vivante de la création architecturale. » (August Schmarsow, « Barok und Rokoko », Eine kritische Auseinandersetzung über dans Malerische in der Architektur, Leipzig, Verlag S. Hirzel, 1897, pp.6-7)

 

C’est le XXè siècle qui a le plus développé l’architecture comme un art non figuratif. L’espace en fait partie. Les nouvelles techniques de bâtir ont permis d’imaginer un espace architectural qui se caractérise par ses relations fluides avec d’autres espaces. (Pierre von Meiss, « de la forme au lieu » – une introduction à l’étude de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1986, p. 113.)

Espace

Le mot ESPACE supporte beaucoup de définitions.
Si l’on regarde simplement  l’utilisation que nous en  faisons  quotidiennement, on dit : l’espace de devant, de derrière, l’espace de ma chambre, l’espace de la Belgique, l’espace sidéral, l’espace d’une vie, l’espace c’est du vide, etc…
Toutes ces expressions sont si différentes qu’elles n’ont apparemment rien en commun.

Mais je voudrais que vous gardiez en mémoire ceci:
l’espace en tant que POSSIBLE, en tant que ce qui m’est possible de posséder, l’espace à conquérir, l’espace que j’ai conquis et qui va en s’augmentant, en s’élargissant.

Exemple: vous arrivez dans une ville où vous n’êtes jamais allé. Vous possédez une carte, mais c’est une image abstraite: un plan avec des rues qui se croisent, des places, des noms, mais tout cela ne vous dit rien. Vous connaissez une chose: la gare puis en face, l’hôtel où vous êtes descendu.
Au départ de là, vous allez rayonner, et petit à petit l’ESPACE va s’élargir, vous allez connaître de plus en plus de rues, de coins, de repères, etc…
Ce qui est important, c’est que vous allez POSSEDER petit à petit la ville, et vos POSSIBILITES vont s’augmenter, l’emprise que vous pouvez avoir sur la ville ira grandissant, etc… Selon les différents moyens que vous allez utiliser, l’espace sera différent. Vos possibles vont s’enrichir et augmenter. Connaître une ville à pied ou en voiture est différent. On peut connaître une ville par le bottin du téléphone, sans bouger de son hôtel. On peut la connaître par le réseau des transports en commun, en voiture personnelle, etc…ce sera chaque fois différent. Mais de toute façon, plus vous vous donnez de moyens, plus vous augmentez votre emprise sur la ville et plus l’espace sera riche.  Si vous bougez beaucoup, regardez, établissez des contacts, réfléchissez en faisant des associations, des comparaisons, vous augmenterez votre pouvoir sur cette nouvelle ville.
Espace veut dire POSSIBLE, des possibles concentriques, avec une maille qui va en se densifiant.

Retenez surtout ceci:
1° Plus vous utilisez de moyens, plus la ville grandit et plus l’espace de vos possibles s’étend.  (vous comprenez aussi que pour certains, une ville reste “petite”)
2° On est toujours “le centre” de l’espace. Dans le cas de la nouvelle ville, c’est l’hôtel où vous êtes descendu qui est le “centre”, le point où l’on revient toujours, le départ de toute nouvelle expédition.
3° Espace veut dire liberté, liberté que l’on se donne.
4° L’espace est “dynamique”.

Vous comprenez maintenant mieux ce que je veux dire par ESPACE.
L’espace, c’est ce qu’on connaît des choses, ce sont des zones concentriques qui sont de plus en plus larges, que l’on établit en fonction de notre expérience, de notre passé, de l’assurance qu’on a et des moyens que l’on se donne. Vous comprenez bien que l’espace n’est pas limité, c’est nous qui lui donnons des limites. Plus nous explorons, plus l’espace pour nous sera étendu.
Vous comprenez également que l’espace pour un villageois, c’est “ tout jusqu’à l’horizon”, et pour un pilote d’avion, c’est beaucoup plus vaste.
Nous avons cité tout au début l’expression – L’espace de la Belgique – Celui-ci est très différent pour un représentant de commerce circulant dans tout le pays par rapport à  une personne qui n’est jamais sortie de sa ville. Ils utilisent pourtant tous les deux la même expression, mais la Belgique sera pour l’une plus étendue que pour l’autre. Ce n’est pas la surface en Km2 qui compte (bien qu’on puisse la traduire comme telle) mais le fait que la Belgique représentera un espace de liberté, un champs d’action et de possibles beaucoup plus étendu pour la première personne que pour la seconde.

L’espace, c’est donc ce dont on peut prendre possession, c’est ce qui nous est possible de posséder, de conquérir. On peut le faire en fonction de notre passé affectif qui nous donnera de l’assurance, du culot, mais  aussi en fonction de nos connaissances, de notre intelligence.
La phrase de Balzac: “Paris, cet immense champ labouré d’ambitions !”  illustre bien ces notions.

L’espace, c’est donc du VECU avec moi comme centre de l’espace. Pour un montagnard, l’espace, c’est tout ce qui part depuis sa maison au fond de la vallée jusqu’au sommet des montagnes qui l’entourent. Mais l’espace intersidéral, c’est une chose abstraite.(d’ailleurs, personne n’a été jusque là).
L’espace n’est pas seulement une dimension géométrique (que tout le monde connaît, mais que personne ne vit), c’est une SURFACE POSSIBLE, une étendue qui m’est possible, un territoire que je me donne et une liberté que je m’accorde et que je possède.

Vous comprenez également qu’on peut souffrir d’espace, du manque d’espace, non en mètres carrés, mais en possibilités qui me sont refusées. L’espace pour l’ouvrier qui est rivé à sa machine est plus petit que l’espace pour le patron qui peut se rendre partout dans l’usine. L’ouvrier ne peut aller dans l’atelier d’à côté, ni dans les bureaux. L’espace de l’usine est pour lui très petit. Et ce n’est pas un hasard si, dans ces entreprises,  les personnes les plus heureuses  sont celles qui s’occupent de l’entretien . Elles peuvent se déplacer partout sans restriction. Elles sont autorisées à  se rendre dans tous les lieux et pour elles, l’espace de l’usine est grand.

Vous comprendrez également que la claustrophobie est une frustration spatiale: on se sent emprisonné, pris au piège. C’est la peur de sentir qu’on va être mis en boite, l’appréhension de se sentir  enfermé malgré nous qui déclenche cette angoisse. La réaction naturelle est de fuir l’endroit maudit, de marcher plus vite. On préfère monter 10 étages par l’escalier que de se sentir emprisonné dans cette boite qu’est l’ascenseur. L’énergie demandée pour grimper tous ces étages paraît moins importante que celle nécessaire pour surmonter son angoisse.

Considérer l’espace comme une liberté qu’on se donne s’illustre encore, par exemple,  dans l’histoire de l’architecture . Lorsqu’on dit que la Renaissance a engendré un nouvel espace: on veut dire que l’on  est sorti des murailles des châteaux moyenâgeux, on a décoré les murs, percé de nouvelles fenêtres, créé des balcons. En d’autres termes, on s’est permis une nouvelle liberté jusque là interdite.
Le passage au “plan libre”, c’est aussi un nouvel espace. On n’était plus tributaire des murs porteurs. On pose une structure et on articule les murs là où l’on veut, permettant plus de liberté dans nos mouvements, plus de fluidité.
L’espace pictural, c’est chaque fois une nouvelle liberté qu’on se donne et qu’on propose au spectateur.

Si L’ESPACE soutient un grand nombre de définitions, elles ont toutes en commun de contenir cette même notion : UN POSSIBLE que le sujet se donne.

Marc CRUNELLE

Ce texte a été publié dans la revue A+ n°118, Bruxelles, 1992, p. 32

Espaces sacrés

… Quand on entre dans la cathédrale de Cologne, sitôt là, on est au fond de l’océan, et, seulement au-dessus, bien au-dessus est la porte de la vie…: “De profundis”, on entre, aussitôt on est perdu. On n’est plus qu’une souris. Humilié, “prier gothique”.

La cathédrale gothique est construite de telle façon que celui qui y entre est atterré de faiblesse.

Et on y prie à genoux, non à terre, mais sur le bord aigu d’une chaise, les centres de magie naturelle dispersés. Position malheureuse et inharmonieuse où on ne peut vraiment soupirer, et essayer de s’arracher à sa misère: “Kyrie Eleison”, “Kyrie Eleison”, “Seigneur ayez pitié!

Les religions hindoues au contraire ne dégagent pas la faiblesse de l’homme, mais sa force. La prière et la méditation sont l’exercice des forces spirituelles. A côté de Kali se trouve le tableau démonstratif des attitudes  de prière. Celui qui prie bien fait tomber des pierres, parfume les eaux. Il force Dieu. Une prière est un rapt. Il faut une bonne tactique.

L’intérieur des temples (même les plus grands extérieurement) est petit, petit, pour qu’on y sente sa force. On fera plutôt vingt niches, qu’un grand autel. Il faut que l’Hindou sente sa force.

Alors il dit AUM. Sérénité dans la puissance. Magie au centre de toute magies. Il faut le leur entendre chanter dans les hymnes védiques, les Upanishads ou le Tantra de la grande libération.
Henri MICHAUXextrait d’ “Un barbare en Asie”, Gallimard, coll. L’imaginaire, Paris, 1967, pp. 31-32. (édition originale de 1933, ce texte a été écrit après le voyage qu’il fit aux Indes en 1931.)

 

Lorsque l’on entre dans une cathédrale, l’on sent l’espace et la lumière créés par des architectes et des artisans et cela donne un sentiment merveilleux mêlé le plus souvent d’admiration et d’effroi, plus puissant que tout ce que peut produire la rhétorique des ministres du culte. (James Turrell, interview dans Art Press n°157, avril 1991, p.20.)

 

Winston Churchill

« We shape our buildings, and afterwards, our buildings shape us ».

Nous façonnons nos constructions, et par la suite, elles nous façonnent.
(Winston Churchill, extrait d’un discours donné à la Chambre des communes le 28 octobre 1943.) 
Après la destruction de la Chambre des communes en 1941 par des bombes incendiaires lors du Blitz, les communes débâtèrent la question de la reconstruction de sa chambre. Avec l’accord de Winston Churchill, ils retinrent le schéma d’un rectangle d’opposition plutôt que de changer pour un plan semi-circulaire ou en fer à cheval ayant la faveur de certaines assemblées législatives. Churchill souligna par cette sentence, que cette disposition pour l’ancien Parlement était à l’origine du système bi-party qui est l’essence même de la démocratie parlementaire britannique. (https://www.parliament.uk/about/living- heritage/building/palace/architecture/palacestructure/churchill/ [trad. Marc Crunelle])

Claustrophobie

Ne pourrait-on pas trouver, à travers l’expérience du malaise liée à la perception de l’espace par certains usagers, la preuve ultime qu’il existe une influence notoire de l’espace sur le fonctionnement psychologique de l’humain ?

Cela pourrait paraître assez évident, et pourtant les concepteurs d’espace nient souvent cet impact de l’espace construit sur le vécu. Pour quelles raisons?

Le propos du texte s’attache à montrer tout d’abord que cette influence est réelle, et qu’elle peut être observée dans des malaises liés à certaines configurations spatiales et urbaines. Il propose ensuite quelques pistes d’explication quant au refus des architectes de prendre en considération ce vécu spatial. L’opposition est donc ici située entre vécu et représentation de la réalité spatiale.

http://lavilledessens.net/textes/01/Claustrophobie.pdf

Vertige

Ne pourrait-on pas trouver, à travers l’expérience du malaise liée à la perception de l’espace par certains usagers, la preuve ultime qu’il existe une influence notoire de l’espace sur le fonctionnement psychologique de l’humain ?

Cela pourrait paraître assez évident, et pourtant les concepteurs d’espace nient souvent cet impact de l’espace construit sur le vécu. Pour quelles raisons?

Le propos du texte s’attache à montrer tout d’abord que cette influence est réelle, et qu’elle peut être observée dans des malaises liés à certaines configurations spatiales et urbaines. Il propose ensuite quelques pistes d’explication quant au refus des architectes de prendre en considération ce vécu spatial. L’opposition est donc ici située entre vécu et représentation de la réalité spatiale.

http://lavilledessens.net/textes/01/Claustrophobie.pdf

Agoraphobie

Ne pourrait-on pas trouver, à travers l’expérience du malaise liée à la perception de l’espace par certains usagers, la preuve ultime qu’il existe une influence notoire de l’espace sur le fonctionnement psychologique de l’humain ?

Cela pourrait paraître assez évident, et pourtant les concepteurs d’espace nient souvent cet impact de l’espace construit sur le vécu. Pour quelles raisons?

Le propos du texte s’attache à montrer tout d’abord que cette influence est réelle, et qu’elle peut être observée dans des malaises liés à certaines configurations spatiales et urbaines. Il propose ensuite quelques pistes d’explication quant au refus des architectes de prendre en considération ce vécu spatial. L’opposition est donc ici située entre vécu et représentation de la réalité spatiale.

http://lavilledessens.net/textes/01/Claustrophobie.pdf

Peter Zumthor

L’espace du projet et le continuum infini qui l’entoure…

La géométrie concerne les règles des lignes, des surfaces planes, et des corps (solides) en trois dimensions dans l’espace. La géométrie peut nous aider à comprendre comment manier l’espace en architecture.

En architecture, il y a deux possibilités à la base de la composition spatiale: le corps architectural fermé qui isole l’espace sur lui-même, et le corps ouvert qui embrasse une portion de l’espace qui est connecté avec le continuum infini.

L’extension de l’espace peut être rendu visible au travers d’éléments tels les planchers, ou les poteaux disposés librement ou en rangées dans l’étendue spatiale d’une pièce.

Je ne prétends pas savoir ce que l’espace est réellement. Plus j’y pense, plus mystérieux il demeure. A propos d’une chose je suis sur: lorsque nous, en temps qu’architectes, sommes concernés par l’espace, nous sommes concernés par une toute petite part d’une infinité qui entoure la terre et cependant chacun comme tous les bâtiments ont une place unique dans cette infinité.

Avec cette idée à l’esprit, je commence par dessiner les premiers plans et les premières coupes de mon projet. Je dessine des schémas spatiaux et des volumes simples. J’essaye de les visualiser comme corps précis dans l’espace, et je perçois que c’est important pour sentir exactement comment ils définissent et distinguent une partie de l’espace intérieur de l’univers (l’espace) qui les entoure, ou comment ils contiennent une partie du  continuum spatial infini dans une sorte de récipient ouvert.

Les constructions qui ont un fort impact renferment souvent un sentiment intense de leur qualité spatiale. Ils embrassent d’une manière spéciale le vide mystérieux appelé espace et le fait vibrer.
(Peter Zumthor.  « A way of looking at things »,  écrit en nov 1988), in: « Thinking Architecture », Birkhauser, 2006, passim.)  [trad. Marc Crunelle]  

 

Vous vous référez à l’espace architectural comme un « vide mystérieux ». Qu’entendez-vous par là ?

Je m’attendais à cette question. C’est une bonne question, je pense, mais il n’est pas facile d’y répondre. Tous les architectes parlent d’espace et de lumière, bien sûr, et quand je suis leurs pensées et que je vois ce qu’ils réalisent, je me rends compte qu’il doit exister différents concepts d’espaces, différentes perceptions des espaces. Fondamentalement, je suis intéressé par les espaces qui me donnent ce sentiment de claustration – dans les espaces qui me font ralentir un peu, m’arrêter ou prendre un siège et commencer à lire, ou travailler ou dormir; les espaces qui m’invitent à me fondre en eux. Comme tout le monde, je sais immédiatement quand je suis interpellé par un espace, mais d’une certaine façon je trouve difficile de définir précisément les qualités qui provoquent cette sensation. Il semble que cela ait à voir avec tout ce que l’architecture doit englober – découpe, forme, taille, matériaux, structure, surface, lumière, ombre, utilisation, aspect, et davantage. Tous ces éléments, en synthèse, jouent leur rôle pour formuler ce « vide mystérieux ». De sorte que d’une certaine façon, concevoir un espace est comme imaginer tout ce qui est destiné à, et entoure, quelque chose qui ne peut pas être conçu, puisque c’est un vide immatériel. C’est un vide destiné à voir la vie s’y installer. Il y a des espaces qui nous affichent sous notre meilleure apparence, qui nous procurent une mesure de liberté et de dignité. Je suppose que c’est ce qui m’intéresse. Il y a des années, un de mes collègues plus anciens me disait qu’il savait qu’il avait vu de l’architecture chaque fois qu’il voyait un espace qui lui restait à l’esprit. J’ai la même sensation. Je peux parler passionnément de la substance d’un bâtiment, des matériaux et de la construction, mais à tout moment je suis conscient que ce n’est pas cela la question principale. Ces choses ne sont aussi importantes pour moi que dans leur relation à l’objet comme un tout – aux espaces qu’il contient et à la présence qu’il dégage là où il se trouve. Créer des espaces, des endroits à occuper, est la première et la plus fondamentale tâche de l’architecture, je crois. (« Thermal Bath at Vals Peter Zumthor », Architectural Association, 1996, p. 65) [trad. Catherine Hermand]

 

L’architecture est quelque chose de substantiel, pas de virtuel. Il a toujours été possible de la percevoir par les sens. C’est quelque chose qu’Alvaro Siza réalise bien, que Lewerentz réussi en le faisant, et Kahn, Le Corbusier, Alvar Aalto, Döllgast, Rudolf Schwarz et Barragan au Mexique. L’espace est influencé par les choses qui le forme ou par ce qu’il enveloppe. L’espace lui-même est du vide. En temps qu’architecte, nous définissons seulement le contour spatial, peut-être sa forme, et nous percevons ces choses par les sens. Quand je lis les travaux des philosophes et vois comment ils pensent, je sens qu’ils pensent aussi en images – spatialement; ce qui confirme mon sentiment qu’il est impossible de ne pas penser spatialement.  Même si une personne pense de manière abstraite, il pense en images. Le rôle le plus noble de l’architecture est de prévoir une présence physique concrète et ensuite de la dessiner. Les choses sont ce qu’elles sont. Je vois ce que je vois; sens ce que je sens; et j’essaye de les dessiner en conséquence. (Peter Zumthor, in: Detail 2001/1, p. 25) [trad. Marc Crunelle]  

Tadao Ando

Dans de nombreux articles consacrés à votre travail, les auteurs parlent de votre capacité à créer des « espaces purs ». Je suis curieux de connaître votre réponse: que veulent-ils dirent par là, d’après vous? Cela me paraît impossible: l’espace n’est jamais vraiment pur; il est toujours rempli d’émotions, d’idées. L’idée d’un espace neutre ou pur n’est-elle pas fallacieuse?
C’est vrai. L’espace ne prend vie que lorsque les gens y pénètrent. Le rôle essentiel de l’architecture, le rôle de l’espace, au sein de l’architecture, consiste à favoriser une interaction entre les gens, entre les gens et les idées exprimées par les peintures et les sculptures, et surtout à stimuler la réflexion à l’intérieur des gens. Les murs, les plafonds, les fenêtres doivent stimuler les idées; et les idées ne sont pas pures. Elles sont multiples et se superposent les unes aux autres. Nous sommes assis ici: cet espace agit de telle sorte qu’il favorise notre discussion. Cet espace est intime et calme, il remplit une fonction élémentaire, celle de nous permettre d’avoir une discussion. (″Du béton et d’autres secrets de l’architecture – Sept entretiens de Michael Auping avec Tadao Ando lors de la construction du Musée d’Art Moderne de Fort Worth″, L’Arche, Paris, 2007, pp. 42-43. [trad. Leonor Baldaque])  

On dirait que votre conception d’un édifice porte d’abord sur l’espace – ce qui est difficile à décrire – et ensuite, sur la forme physique de l’édifice, ce dont il est peut-être plus facile de parler.
La forme autorise l’espace, donne naissance à l’espace. Une célèbre érudit japonais, Kakuso Okakura, a écrit un livre en anglais sur la cérémonie du thé: « Le livre du thé ». Je pense que Frank Lloyd Wright a lu ce livre et qu’il en a été très impressionné. Okakura dit que l’espace où la cérémonie du thé a lieu est beaucoup plus important qu’un plafond, qu’un sol, ou que les quatre murs qui entourent l’espace. Autrement dit: l’espace n’existe pas simplement en vertu de ce qu’il contient mais surtout en vertu de ce qu’il exprime. Je crois que, lorsque  Frank Lloyd Wright a terminé la lecture d’Akakura, il s’est dit que c’était la première fois qu’il comprenait vraiment le sens de l’espace. Le livre a été écrit il y a presque cent ans, en anglais, par un Japonais qui vivait à l’ère Meiji. (ibidem, p. 43)

Un couloir ou une colonnade de Brunelleschi, avec un plafond voûté ou une coupole au centre, contenu dans un carré et une forme en X, peut aider à définir les proportions. Quand vous êtes dans un tel espace, vous comprenez comment une certaine géométrie peut vous parler – à votre intellect et à vos émotions. C’est ce qu’on veut dire quand on parle de l’espace en termes d’éternité ou d’universalité. C’est un type d’espace qui peut traverser les siècles et les cultures. (indem, p. 67)

L’essence de la philosophie Zen, c’est le cercle. Le cercle représente l’infini. Les courbes dans mes projets sont en fait des quarts ou des sixièmes de cercle, le cercle étant un symbole d’infini. Donc c’est à vous de trouver une façon d’achever ce cercle, pour créer votre univers, cela vous concerne. J’essaie de donner cette possibilité au spectateur. La liberté de pouvoir achever l’espace. De nombreux édifices, en Orient comme en Occident, intègrent ce concept : le Panthéon à Rome, par exemple. La moitié supérieure est une parfaite demi-sphère. La moitié inférieure est un cylindre, et toutes deux ont le même rayon et la même hauteur. La lumière pénètre dans l’espace par le centre du dôme. C’est un espace parfait. L’échelle est parfaite pour le corps humain, elle permet de réfléchir au rapport entre l’univers et la forme humaine. (idem, pp. 35-36)

L’idée d’un centre est très intéressante; c’est un concept plutôt occidental. Lors de son voyage au Japon, Roland Barthes a dit que c’était un pays qui ne semblait pas avoir de centre; doté d’une grande profondeur, mais dépourvu de centre. Je crois que je porte en moi cet aspect du Japon. Pour moi, le centre d’un édifice est toujours la personne qui s’y trouve, celle qui expérimente l’espace depuis l’intérieur d’elle-même. Le défi est de concevoir un espace suffisamment  généreux pour permettre à chacun de devenir le centre.

Quand vous dîtes généreux, vous parlez en termes de taille ? Pas nécessairement. Certains édifices sont petits de l’extérieur, mais très grands à l’intérieur. Et l’inverse est aussi vrai. Etre généreux envers l’espace, c’est mettre les gens suffisamment à l’aise pour qu’ils explorent et trouvent leur propre chemin à l’intérieur de l’édifice. (p. 54-55)

C’est à l’intérieur du Panthéon à Rome que j’ai eu la première fois l’expérience de l’espace en architecture. On dit souvent que l’architecture romaine généralement a plus de caractère spatial que l’architecture grecque, mais ce que j’ai expérimenté n’était pas l’espace au sens conceptuel. C’était  vraiment l’espace qui se manifestait. Le Panthéon bien sur est composé d’un dôme demi sphérique de 43,2 m de diamètre, placé au-dessus d’un cylindre de même diamètre. La hauteur du bâtiment est également de 43,2 mètres, donc on peut dire que la structure est composée autour d’un immense volume sphérique. C’est lorsque cette structure est illuminée par un oculus de 9 mètres de diamètre au sommet du dôme que se manifeste réellement l’espace architectural. Une telle circonstance de matière et de lumière ne peut être vécue dans la nature. Il n’y a que dans l’architecture qu’une telle vision peut être rencontrée. C’est ce pouvoir de l’architecture qui m’émeut.
Il y a un autre espace occidental vif dans ma mémoire : l’espace dans les structures imaginaires de Piranèse, que l’on peut trouver dans les cartes de Rome et dans les célèbres gravures des prisons imaginaires dans lesquelles il a exprimé son propre sens de l’aliénation de la réalité. En particulier, ses intérieurs de prisons qui recèlent cette qualité que nous appelions piranésiens, ont fait une grande impression sur moi. Dans l’architecture traditionnelle japonaise, l’espace s’étend de manière horizontale. Néanmoins, la tridimensionnalité des prisons labyrinthiques de Piranèse a la verticalité d’un escalier à spirale montant.
L’ordre géométrique du Panthéon et la verticalité de l’espace piranésien sont de merveilleux contrastes par rapport à l’espace traditionnel japonais. L’architecture japonaise est sensiblement horizontale et non géométrique et de là caractérisée par des espaces irréguliers. C’est, dans un sens, une architecture sans forme. L’architecture est intégrée avec la nature et l’espace est apparemment flottant. Le Panthéon et les  intérieurs piranésiens, parce qu’ils sont en complet contrastes avec l’architecture japonaise, représentent pour moi l’espace architectural occidental. Il me semble que mon travail a depuis longtemps eu comme objectif d’intégrer ces deux concepts spatiaux contrastés.
(″Materials, Geometry and Nature″, in: « Writing by Tadao Ando″, Phaïdon, London, 1995, p. 456) [trad. Marc Crunelle]     

Mon architecture, parce qu’elle renferme des espaces « nus » semble à première vue tendre vers la création d’espaces abstraits d’où l’homme, la fonction et les styles de vie sont exclus. Cependant, plutôt que des espaces abstraits, ce sont des prototypes spatiaux que je cherche à créer.

Créer un espace homogène en utilisant une structure constructive uniforme est le principe fondateur de l’architecture moderne. Mon intention est de construire des espaces qui paraissent à première vue simples mais qui ne le sont plus dès qu’on les expérimente; c’est-à-dire des espaces complexes qui ne sont pas le résultat d’une simplification. (« Vocabulaire de l’architecte », 1986, in: Yann Nussuaume, « Tadao Ando – Pensées sur l’architecture et le paysage » Arléa, Paris, 1999, p. 83.)

Rendre le béton massif et lourd ne m’intéresse pas; je préfère qu’il ait l’air léger. Je m’oppose à l’approche du béton – un temps à la mode – selon laquelle chaque panneau était censé avoir sa propre odeur et sa propre saveur. Au lieu de cela, je cherche à unifier l’aspect du béton dans l’ensemble de la construction. Je ne permets pas aux différents panneaux d’être autonomes, ni d’exercer une influence individuelle. Je préfère donner la parole à l’espace, et ne pas laisser les murs exister en tant qu’entités distinctes. J’aimerais créer des espaces dans lesquels les textures et les caractéristiques des murs et des sols seraient visibles. De tels espaces seraient de bons espaces. Moins les matériaux, les murs, les plafonds ou tout autre élément architectural sont autorisés à parler de leur propre voix, mieux c’est. Je souhaite donc unifier les matériaux autant que possible, et c’est dans ce but que j’utilise des sols de béton brut. C’est l’espace lui-même qui doit prendre la parole… (in:The Japan Architect n° 276, repris dans Yann Nussuaume, « Tadao Ando – Pensées sur l’architecture et le paysage » Arléa, Paris, 1999, pp. 47-48.)

Le béton que j’utilise manque de solidité sculpturale et de poids. Je cherche plutôt à former des surfaces légères et homogènes. Les marques des panneaux de coffrage et des séparateurs fixés régulièrement sont traités pour donner des angles durs et des surfaces lisses à la finition homogène. Je traite le béton comme une matière inorganique et secrète recelant une grande puissance. Ce faisant, je ne cherche pas à atteindre l’essence de la matière elle-même, mais à l’utiliser au service de l’espace. En attirant la lumière, l’espace paisible et froid, entouré d’éléments architecturaux parachevés, se libère pour devenir un espace de transparence et de douceur dépassant l’intention de la matière; faisant un avec l’être humain, il devient un espace vivant. Alors les murs ne sont plus perçus dans leur matérialité et seul demeure, dans la perception corporelle de l’individu, l’espace environnant. (in:El Croquis N° 44, repris dans Yann Nussuaume, « Tadao Ando – Pensées sur l’architecture et le paysage » Arléa, Paris, 1999, p. 132.)