Frank Gehry

Hanno Rauterberg: Est-ce que la bonne architecture n’est-elle pas réellement remarquable pour l’art de l’espace plutôt que l’art des surfaces ?

Frank Gehry: Oui, évidemment vous avez raison. Tout commence par l’expérience spatiale. Mais vous devez envelopper cet espace, vous devez le maîtriser. Donc, on ne peut pas contourner la question des surfaces. (Entretien avec Frank Gehry, réalisé par Hanno Rauterberg, in: « Talking architeture – interviews with architects », Prestel, Munich . Berlin . London . New York, 2008, p. 63.)

 

D’A : Est-ce une fondation qui peut accueillir tout type d’art ou a-t-elle été conçue pour une collection particulière ?

Frank Gehry: Suzanne Pagé a demandé des espaces d’exposition « classiques », donc c’est ce que nous avons fait. Mais ce ne sont pas des galeries si classiques que ça. Je pense qu’elles sont sereines et plus nobles. Tous les musées, toutes les galeries sont des cubes blancs et ils sont tous pareils. Un grand nombre de mes amis artistes détestent ces espaces. Mais la plupart des conservateurs et des directeurs de musée ne jurent que par ça. Le monde est fatigué et il y en a marre de ces conneries. Le musée d’Art moderne de New York (MOMA) est un désastre et ils doivent le reconstruire aujourd’hui. Vous savez, quand vous êtes dans ces espaces rigides, en enfilade, que l’on parcourt dans un sens, c’est mortel. Ici ils ont demandé ce type d’espace car ils ont des collections qui le nécessitent. Mais ils ont aussi des espaces avec lesquels ils peuvent composer et faire des choses. Je crois qu’il y en a une variété suffisante pour que les artistes puissent les investir. On le verra au fil du temps. […] C’est difficile d’anticiper et de pontifier sur ce qu’est un espace d’exposition. J’ai personnellement dû faire des expositions dans de nombreux musées construits ces quinze dernières années, c’est difficile car les espaces peuvent être écrasants.

D’A: Au musée Guggenheim de Bilbao, vous aviez proposé d’un côté des galeries classiques pour la collection permanente et de l’autre des espaces plus singuliers pour que des artistes vivants puissent les investir. Vous ne semblez pas avoir eu cette liberté ici…

F.G.: Les clients sont différents. On m’a demandé ici ce type d’espace. Il y a toutefois de la variété, les espaces ne sont pas tous les mêmes. Les galeries sont épisodiques, elles ont différentes tailles et différentes formes. Elles sont rectangulaires et blanches, mais les puits de lumière ne sont pas au centre. Il y a plus de liberté. J’espère que ce n’est pas trop rigide. Mes amis artistes trouveront des lieux pour faire des choses. Ils me disent qu’ils n’aiment pas les cubes blancs. La notion qui prévaut, c’est que les « white box » ne sont pas intrusives pour l’art, mais ce n’est pas vrai : elles sont tellement parfaites qu’elles deviennent une imposition. (Entretien avec Frank Gehry, réalisé par David Leclerc et Emmanuel Caille, à Paris,le 1 juillet 2014, à l’occasion de la fin des travaux de la Fondation Louis-Vuitton, in: revue D’A n° 230, octobre 2014)