Herman Hertzberger

L’idée de l’espace

L’espace est plus une idée qu’un concept bien circonscrit. Essayez de le mettre en mots et vous le perdez.

L’idée de l’espace renvoie à ce qui élargit ou enlève les limitations existantes et à tout ce qui ouvre des possibilités, et c’est donc l’opposé d’hermétique, d’oppressant, d’incommode, enferme et répartit en rangements et partitions, trié, établi, prédéterminé et immuable, cloisonné, rendu certain.

L’espace et la certitude sont étrangers l’un à l’autre. L’espace constitue une potentialité pour la nouveauté.

L’espace est ce qui se trouve en face et au-dessus de vous (et à un moindre degré ce qui est en dessous de vous), qui vous donne une liberté de vue et une vision de la liberté. Où il y a de la place pour l’insoupçonné et pour l’indéfini. L’espace est le lieu qui n’a pas encore été approprié et est plus que ce que vous pouvez remplir. (Herman HERTZBERGER, 010 Publishers, Rotterdam, 2010, p. 14. [trad. Marc Crunelle & Laura De Caro])

L’idée de l’architecture

[…] Lorsque nous parlons d’espace, dans le monde de l’architecture, la plupart du temps, nous voulons dire UN espace particulier. La présence ou l’absence d’un simple article détermine si on se réfère à l’espace infini, à un espace plus ou moins confiné, ou quelque chose entre les deux, ni sans fin, ni contraint.

Un espace est déterminé, ou fini, et cerné par sa périphérie et/ou par les objets s’y trouvant. Un espace existe pour quelque chose, il offre protection ou rend quelque chose accessible. Il est, jusqu’à un certain degré, spécifiquement conçu, peut être variable en regard de sa fonction, mais pas fortuit.

Un espace a quelque chose de la nature d’un objet, même si il peut être aussi l’exact opposé d’un objet. Nous pourrions de là percevoir un espace comme un objet mais dans le sens négatif: un objet négatif.

L’espace en architecture conjure avant tout des idées de dimensions excessives, comme celles des cathédrales par lesquelles on est activement impressionnés, comme c’était l’intention, et cependant l’espace est un concept relatif. Un vide dans une maison ou toute autre occasion de déroger au dictat de la prescription du 2,7 m de hauteur pour les maison aux Pays-Bas, donne un sens de l’espace comme le font un balcon plus spacieux, une terrasse, un palier, un escalier ou un porche. Dans chaque cas, cela nous implique plus que ce qu’on attendent, plus de ce à quoi nous sommes habitués: l’espace va au-delà.

Chacun a sa propre idée d’un espace idéal et nous pouvons tous nous rappeler une série d’espaces qui nous ont fait une impression particulière, et cependant qui peut décrire exactement ce qui a produit ce sens d’espace ?

[…] Quand bien même nous ne pouvons pas mettre en mots ce qui fait qu’un espace est raffiné ou beau, on peut dire que c’est toujours une sorte « d’intérieur » en profondeur et perspective, donnant un sens d’élargissement sans affecter défavorablement ce caractère d’intérieur. Vous pouvez l’appeler comme une sorte de balance entre retenue et expansion qui est capable de vous affecter émotionnellement. Ceci implique toute sorte de facteurs influençant l’effet de l’espace, comme la qualité de la lumière, l’acoustique, une odeur particulière, les gens, enfin et surtout votre propre humeur. (idem, pp. 15-16)

L’expérience de l’espace

Il est souvent dit: traversez-le en marchant, filmez-le, et l’image spatiale se déploiera, et malgré cela l’impression la plus profonde survient lorsque même de tels actes échouent à révéler ce qui a exactement donné ce sentiment d’espace.

L’essence de la spatialité ne permet pas d’être définie mais au meilleur des cas décrite. De là, ça peut soulever une litanie sans fin d’énoncés vaporeux, au mieux circonscrivant des mouvements pouvant nous aider à avoir une prise minime sur le sujet.

Qu’est ce qui nous fait penser que les choses sont spatiales ? La spatialité est un sentiment, une sensation que nous vivons, particulièrement quand ce qu’on voit est impossible à saisir d’emblée et donc non spécifié. Ou plutôt, sa stratification nous empêche de l’analyser de son entièreté. Il suscite des attentes.

Le sens de l’espace est soutenu par le manque d’une vision globale de l’espace dans lequel vous êtes. Même quand nous désignons un espace fermé de tous côtés, surveillable de toute part, il y a – ou du moins il semble – qu’il y a toujours quelque chose derrière le coin.

Peut-être que le sentiment de l’espace arrive quand l’image attendue et l’image dont vous faites expérience n’est pas une et la même, dans le même sens que le son devient spatial quand les sons directs et réfléchis n’arrivent plus à coïncider chez le récepteur. Cela relativise le point de vue du spectateur.

Il ne peut y avoir de doute que le designer a tout eu dans son esprit d’une façon ou d’une autre, sous forme de mesures, matériaux et qualité de la lumière. Pour lui, à un certain niveau, il n’y avait plus de secrets; l’architecte a du avoir à l’esprit l’image de l’espace qu’il était en train de créer, jusqu’à un certain point, car la question reste si le résultat réalisé s’accorde avec son idée initiale.

Les maquettes et autres représentations en 3D nous aident à s’en faire une image, mais malgré leur réalisme, ce ne peut être qu’une abstraction, privé comme il est de tous autres composants non visuels qui ensemble façonnent notre sens de l’espace.

A quel point en fait l’espace est-il tridimensionnel, et jusqu’où faire expérience de l’espace reste la modalité privilégiée de percevoir le monde réel, accessible physiquement, auquel l’architecture appartient? (idem, p. 17)