Dans le livre II de « Formes composition et lois d’harmonie, Eléments d’une science de l’esthétique architecturale » André Lurçat consacre 34 pages à l’espace.
Voici une sélection d’extraits significatifs:
Pour l’architecte, la formation des espaces utiles apparaît comme l’un des problèmes fondamentaux en art. Elle est, tout à la fois, le point de départ et l’aboutissement de son travail de création. (p. 161)
Avec l’espace, élément formel impondérable, apparaissent, en correspondance de caractère avec lui, des moyens de l’exprimer comportant une certaine immatérialité d’expression. C’est là une de ses propriétés fondamentales; bien comprise et rationnellement exploitée, elle conduit à une grande variété d’expressions, particulières et fortement caractérisées. L’essentiel est donc, en employant cet élément, de lui enlever son caractère abstrait, pour lui infuser la qualité d’agir sur nos sens, d’apparaître, comme la surface ou le volume, tangible et concrètement constitué. (p. 168)
Dans l’architecture grecque, l’espace est défini, délimité. Il est saisissable en ses dimensions comme en ses proportions; de son existence se dégagent des caractères aussi concrètement sensibles que ceux qui émanent des autres éléments participant à son action, lignes, surfaces ou volumes.
Cette recherche d’une matérialité de l’espace dans sa perception visuelle, est la marque caractéristique de toutes les civilisations se recommandant de la culture gréco-romaine. Les architectes romains, en effet, plus encore que les architectes grecs, exploitèrent cette tendance. Avec eux, l’espace devient organiquement ordonné, tout comme un élément solide, tout comme les murs et les voûtes qui le délimitent; et les constitutions respectives de ces éléments tout à la fois constructifs et plastiques, sont de ce fait dans leurs moindres détails, déterminés à l’avance par les nécessités de composition structurale que comporte une telle conception de l’espace. Pour que l’espace clos soit défini en ses dimensions et en ses proportions, pour que son étendue dans les trois dimensions s’enregistre sensoriellement et que les effets qui en accompagnent l’intervention apparaissent en accord avec la notion de matérialité et de réalité tangible qui lui est nécessaire, sa conformation doit s’accorder avec l’idée que suggère toute forme simple et régulière, toute forme de structure facile à identifier et à définir. Pour remplir de telles conditions, il faut donc que l’espace soit conformé comme une forme pleine, selon un principe de convexité, d’extension de l’intérieur vers l’extérieur; le concevoir au contraire selon un principe de concavité ferait inévitablement se dégager une impression de vide et d’inconsistance.
En effet, pour suggérer les impressions correspondant à l’idée de solidité et d’existence concrète, un espace doit être constitué selon une structure simple, facile à lire, et disons-le: régulière. Tout volume d’air répondant à ces conditions peut ainsi s’apparenter à une forme solide; il suffit que sa constitution particulière en puisse évoquer l’idée; sa différence d’avec cette catégorie de formes ne provient que de la différence de matière. Le contenu matériel d’un corps solide plein peut être une masse, soit de pierre, soit de terre, soit encore de brique, par exemple, alors que celui d’un espace concrètement déterminé n’est que d’air, de vide atmosphérique.
Jamais peut-être ne fut atteinte à un aussi haut point qu’en Grèce et à Rome cette matérialisation apparente de l’espace. L’examen d’architectures d’autres époques nous fait découvrir que l’espace, sous ses divers aspects, y est tout autrement employé, conduit alors à des expressions d’un caractère tout à fait différent. (p. 169)
Notre analyse nous a conduit à parler de l’espace soit comme élément constitutif de formes, soit comme base de formations architecturales dont le vide est l’élément principal et fondamental.
(André Lurçat, « Formes composition et lois d’harmonie, Eléments d’une science de l’esthétique architecturale », livre II, Ed. Vincent, Fréal et Cie, Paris, 1954, p. 192.)
Lurçat fait remarquer qu’un volume d’espace, habituellement délimité par des parois pleines, peut l’être aussi par des parois semi-transparentes, réalisées en fil de fer, en lattis de bois, telles les gloriettes du potager au château de Villandry, ou encore construites en fer forgé, comme le sont les couronnements des clochers provençaux « évoquant tout à la fois l’idée du volume et l’idée d’espace« . (p. 168, 187)
Il fait également une distinction dans les éléments constitutifs de la forme d’un espace que sont les niches allant d’une petite niche creusée dans un mur à celle, immense, du Belvédère au Vatican ou encore à celles scandant les façades de la mosquée du Shah à Ispahan. Il y ajoute les portails d’églises, largement ouverts à l’extérieur et s’enfonçant dans la façade par l’entremise de voussures successives. (pp. 180, 189, 191)
Enfin, il distingue les espaces négatifs formés par les gradins des théâtres antiques. « Ici la soustraction se réalise non point dans la surface verticale du volume [comme dans le cas des niches], mais en sa partie horizontale supérieure. » (p. 183)