Junkspace

Junkspace veut dire qu’il y a une expérience contemporaine de l’espace qui est universelle et qui est fondée sur des valeurs complètement non-architecturales. Et sur le fait paradoxal qu’elle exploite et recycle tous les éléments architecturaux sans conserver aucune de leurs qualités. On assiste à une espèce de démantèlement de l’architecture, à l’exacerbation de ses qualités spectaculaires (et donc en un sens architecturales) mais avec un tout autre effet conceptuel ou physique.

[…] Ce que j’ai appelé junkspace (je ne ne saurais absolument pas traduire le mot, quand même architecture-bordel peut-être) est le réceptacle de la modernisation, une sorte de dépotoir, de désordre. ce paysage évoque un lieu jadis bien ordonné qui aurait été secoué par un ouragan. En fait il n’a jamais été ordonné, ce n’est pas son problème, et nous nous trompons quand pour nous rassurer nous y voyons un désordre passager et rattrapable. Produit du vingtième siècle, le junkspace connaîtra son apothéose au vingt et unième siècle. Et ce sont les résidus des organisations antérieures, tout ce qui dans cet espace relève du plan, de la géométrie, qui lui confère un sentiment morne et attristant de résistance inutile, qui, en plus, en gêne les mouvements et les flux circulatoires.

[…] Le plus choquant, dans tout ça, c’est peut-être que l’architecture de ce junkspace-architecture-bordel, bien que parfois intense, violente, parfois belle entre guillemets, ne peut être mémorisée. Elle est instantanément et totalement oubliable, et vous mets au défi de vous souvenir du moindre de ses aspects, de ses détails. C’est l’architecture du futur.
(Rem Koolhaas, in: François Chaslin, « deux conversations avec Rem Kookhaas et caetera », Sens & Tonka, Paris, 2011, pp. 143-145)