Sans rentrer dans des considérations philosophiques trop longues, on peut néanmoins souligner que l’espace, ce vide fondamental, est la substance même du monde, depuis le vide sidéral, jusqu’au vide de la matière et de l’atome, ce vide infini où des électrons chargés d’énergie gravitent autour d’un noyau: tout nous montre que l’espace est le substratum de toute chose, et qu’il est le véhicule d’énergie. Cette idée est riche de prolongements dans les sciences et dans tous les arts, à plus forte raison dans le domaine de l’architecture qui est à la jonction des unes et des autres.
Dans le domaine de la construction, Robert Le Ricolais auquel on doit l’invention des structures pluridirectionnelles et pluridimentionnelles, dit avec humour que l’art de construire consiste à prendre du vide et à mettre des forces autour… On pourrait appliquer cette définition à la conception de toute architecture qui est maniement ou plutôt gestion de l’espace. Si j’ai choisi le mot de gestion, c’est parce qu’il traduit bien l’action dévolue à l’architecte de disposer d’un bien qui est sacré puisqu’il appartient à tous et qui lui est confié pour le bien de tous. Il est gestionnaire et non maître; il entre dans le rouage social comme délégué, il n’en sera pas moins responsable dans la mesure de sa liberté et d’autant plus qu’il est fait confiance à son intelligence et à son imagination.
L’espace est porteur de forces latentes, celles du milieu dans lequel on vit, pense et agit, et avec lequel se crée une osmose, un échange permanent. L’espace est le milieu nourricier de nos forces vitales, il est aussi modifié par notre présence et nos actions; il nous conditionne et nous le conditionnons. Il est donc le partenaire qui vit en nous et en qui nous vivons.
La connaissance et la gestion de l’espace recouvrent la notion d’architecture dans sa totalité et il n’est pas de création architecturale en dehors d’elles. Au surplus, tous les problèmes qui se posent actuellement aux architectes – aménagement du territoire, environnement, circulation, développement des villes, pollution, rapports entre le travail et l’habitation, etc – y sont liés pour répondre à des exigences pratiques, mais surtout parce qu’ils participent du devenir de la condition humaine et d’un élargissement de la conscience d’être.
Une initiation à la gestion spatiale débutera donc par les premières pour se développer plus largement dans le second aspect, celui de la communication, du langage et de leur forme la plus haute, la poésie architecturale. Il n’est pas excessif d’admettre que le mot et l’expression verbale, dévalorisés par l’accroissement considérable de la matière imprimée et la publicité, politique ou commerciale bavarde, seront relayés par une forme d’expression plus désintéressée, celle de l’espace construit, cet espace qui agit sur tous et sur chacun, partout et à tout moment. Et cette forme d’expression appartient à la mission de l’architecte car ce qui fait la spécificité de l’architecte, c’est la possibilité qu’il a d’animer une construction et de lui conférer un langage, un pouvoir de communication.
(Georges-Henri Pingusson, « Essai de définition de l’espace », in « L’espace et l’architecture », Ed. du Linteau, Paris, 2010, pp. 23-23.)