Une oeuvre intitulée Heavy water.
Il s’agit d’une oeuvre aquatique, une oeuvre qui concerne la lumière dans l’eau au-dessous de nous et la lumière dans l’air au-dessus de nous. C’est une oeuvre dans laquelle on doit entrer physiquement, dans laquelle il faut d’abord plonger, puis nager pour se retrouver ensuite à l’air libre, sous le ciel. Deux choses m’intéressent ici, la qualité de la lumière dans l’eau et l’air.
Qu’est-ce qui différencie précisément selon vous la perception de la lumière dans l’un et l’autre élément?
Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de montrer la lumière en train d’habiter l’espace. Nous avons l’habitude de percevoir la lumière comme délimitant des surfaces. Il est temps de la percevoir dans l’espace.
[…] La lumière est un matériau que j’utilise et je manipule pour travailler sur le médium de la perception. Ce qui est important pour moi cependant, c’est de garder physiquement sa matérialité à la lumière, c’est de donner à percevoir cette réité [=réalité matérielle] qui permet d’exposer la lumière au même titre que n’importe quel objet. J’apprends ainsi au moyen de la lumière à modifier l’espace visuel, ses délimitations. Sans avoir recours à aucune espèce de mur ou de limite physique, j’utilise sa capacité à construire l’espace.
[…] Dans un rêve conscient, sous assemblons totalement une réalité que nous n’avons jamais vue, et, en totalité, nous rendons les choses physiquement présentes. On peut comprendre ainsi peut-être mieux pourquoi il était pour moi avant tout nécessaire que la lumière habite simplement l’espace, sans être enfermée dans des boites en verre ou en plexiglas. On doit avoir l’impression que la lumière obéit aux mêmes règles que dans le rêve. En un sens, quand nous voyons des espaces comme ceux des « Space divisions« , nous ne sommes pas surpris de les voir, nous avons toujours su que la lumière se présentait à nous de cette façon. Ce qui est surprenant, en revanche, c’est de la voir dans un espace que d’habitude elle n’occupe pas, dans un espace où, habituellement, elle délimite simplement des surfaces. Car cette qualité à travers laquelle l’épaisseur de l’espace est révélée, en particulier dans les lointains, au couchant, nous ne la ressentons pas dans les espaces clos où nous vivons. Cela me conduit à dire que les espaces que j’invente ne sont pas inattendus, simplement on ne les voit pas dans la réalité que nous avons créée.
(James Turrell, interview dans Art Press n°157, avril 1991, 17-19.)