Michael Graves

Votre architecture a toujours dramatisé l’expérience quotidienne; le fait d’entrer dans vos bâtiments constitue, dans chacun, un drame d’ordre cérémonial. Bien que ce soit immédiatement attrayant, je me suis souvent demandée s’il y avait une intention théorique particulière derrière ce drame. Est-ce que ça tient à la porte surélevée ou à la connexion visuelle entre le ciel et le bâtiment par exemple?

Eh bien, ce peut être tout ce que vous dites. Mais cela est entré dans mon travail, je crois, sous la forme d’un refus de l’idée simplificatrice ou dépouillée du seuil « moderne ». L’architecture moderne considère l’espace comme primordial. Et moi, je marque la différence entre les deux, car, si l’on regarde des dessins ou des bâtiments de Mies van der Rohe ou de Theo van Doesburg ou du De Stijl, on s’aperçoit de l’influence qu’ils ont eue sur la façon actuelle de regarder le monde comme un espace homogène indifférencié. Bien sûr, l’espace est continu. Mais notre culture a besoin de séparation entre un point et un autre, l’extérieur contre l’intérieur. Aujourd’hui, d’une certaine manière, nous sommes techniquement capable de gommer ces différences. Mais si nous le faisons, nous gommons également la différence entre le privé et le public, le sacré et le profane. Nous détruisons des domaines clos qui ont permis de donner à notre société son identité. Nous pourrions dire que dans le passage à travers un bâtiment, lorsque nous passons d’un endroit à un autre, il existe une série de seuils, de portes si vous voulez ou même d’encadrements esthétiques qui nous permettent de désigner, de comprendre et d’identifier ces endroits particuliers.

[…] Nous devons trouver des moyens de contourner le problème d’un espace uniforme, unique et homogène; et donc, dans mon propre travail, j’amplifie le passage, la porte, les fenêtres, les éléments simples, qui composent le langage architectural – plancher, plafond, etc…
(Michael Graves, in: B. Diamonstein, « Architecture américaine d’aujourd’hui », Mardaga, Liège – Bruxelles, 1983, pp. 68-69 [trad. K. et L. Merveille])